Gastronomie Coups de Coeur

Le fabuleux destin de Mauro Colagreco

Un an après l’ouverture de son Mirazur en 2006 à Menton, le chef argentin obtient sa première étoile Michelin. La deuxième arrive en 2012 et il est sacré « 3e meilleur restaurant du monde » en 2018 avant la consécration cette année avec la troisième étoile. Retour sur un parcours hors normes parti des environs de Buenos Aires...

Comment as-tu appris la nouvelle de cette troisième étoile?
On l’a appris sur place, au cours de la manifestation organisée par Michelin à Paris. On nous avait demandé de venir, comme l’année dernière où nous étions restés à deux étoiles. Donc nous ne nous attendions pas forcement à ça. Et avant d’être appelé, j’ai commencé à recevoir des messages de félicitations sur mon portable car le dossier de presse avait été envoyé par mail aux journalistes ! Ce fut un grand moment et c’est bien que le guide garde un peu de suspens.

Raconte nous ton parcours depuis l’Argentine et tes origines italiennes
Je suis né à La Plata, près de Buenos Aires. Mes grands-parents étaient effectivement italiens sauf une grand mère qui était basque française.
Après un bac littéraire, j’ai entrepris des études universitaires en sciences économiques. Mon père était comptable et je voulais suivre un peu sa voie, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas la mienne. Tout a basculé lorsque je suis allé donner un coup de main à un copain restaurateur à Buenos Aires. Quand je suis entré dans la cuisine, j’ai eu un vrai coup de foudre ! Et je suis allé m’inscrire à 20 ans dans une école de cuisine.

As-tu été influencé par la cuisine de tes parents ou grands parents ?
Oui bien sûr. Ma mère et mon père adorait faire la cuisine et bien manger. Mes plus beaux souvenirs, c’est toujours autour d’une table chez mes grands-parents qui habitaient en campagne.

Ton premier souvenir culinaire ?
Une de mes grand-mères cuisinait des merveilles pour les grandes occasions, comme les anniversaires, les jours de fêtes ou les vacances. Elle faisait des raviolis farcis aux épinards, blettes et cervelle avec du parmesan. S’il y a un plat que j’aimerais gouter à nouveau dans ma vie, c’est celui là !

D’où venaient tes grands parents lorsqu’ils ont immigré ?
Ils étaient originaires des Abruzzes et de Calabre, deux régions où on fait une cuisine rustique, au feu, qui se rapproche de la cuisine argentine.

Mauro, raconte-nous ton arrivée en France...
J’avais 23 ans quand j’ai débarqué au lycée hôtelier de La Rochelle, en 2000. J’avais présenté ma candidature dans plusieurs écoles, mais, soit elles étaient privées et chères, soit elle ne m’avaient pas répondu. A La Rochelle, ils voulaient bien me prendre mais ils trouvaient mon niveau de français insuffisant. Alors je m’y suis présenté en juin en forçant un peu la porte. Je pense que ma ténacité les a convaincu et ils m’on pris.

Tu connaissais quelqu’un en France ?
Non, je n’avais que le téléphone d’un ami de ma sœur J’étais venu une fois en vacances quand j’avais 18 ans pour la voir alors qu’elle y suivait ses études.
Au moment de choisir une maison pour faire quatre mois de stage, j’ai postulé chez Bernard Loiseau à Saulieu où beaucoup me déconseillaient d’aller en me disant que je n’allais qu’éplucher des patates et du persil...
Finalement c’était bien ça au début, mais j’étais quand même content et petit à petit j’ai gagné ma place. Une semaine avant de finir mon stage, Loiseau m’appelle et me demande « si tu veux rester, j’aurais une place pour toi ». Voilà comment j’ai eu mon premier job. J’ai travaillé avec ce grand chef jusqu’à sa mort.

Un gros choc à L’Arpège chez Passard ?
Je suis ensuite parti à Paris pour une belle expérience avec Alain Passard à l’Arpège. Il m’a vraiment impressionné, d’autant qu’il venait de prendre la décision de ne plus cuisiner les viandes. J’ai passé deux ans et demi avec lui. Entré comme commis, j’ai fini chef de partie. J’adorais cette cuisine d’un chef que j’admirais.
Puis, avant un passage au Grand Véfour, ce fut le Plaza Athénée, juste après le départ de Jean François Piège. Il y avait beaucoup de pression pour garder la 3e étoile. Tout le monde était à bloc, ce fut une grande expérience. Tout était fait à la perfection, une véritable école de rigueur.

Est-ce que ce troisième macaron va changer ta façon de travailler ?

Non, on va continuer dans la même ligne, sans avoir peur de prendre des risques comme on l’a toujours fait. On travaille pour nos clients et pour se faire plaisir aussi.
On cherche toujours le plus haut niveau, celui d’une cuisine très personnelle.
On a la chance de garder depuis deux ans nos équipes avec Laurent Bouveyron à la direction du restaurant. C’est un vrai travail d’équipe dans lequel je n’oublie pas mon épouse Julia. C’est la femme de l’ombre, celle qui a beaucoup de patience, c’est un grand soutien pour moi.

On te croisera toujours sur les marchés de Menton et Vintimille ?
Bien sûr, le jardin et les marchés c’est la base de ma cuisine. Si je n’ai pas de carte fixe, c’est justement pour pouvoir m’adapter à ce que je trouve. Je préfère travailler le produit dans sa splendeur. Je suis la terreur de mes cuisiniers car quand je reviens du marché, on doit souvent improviser. Certains mettent un moment à comprendre, mais ça motive beaucoup, avec nos cuissons à l’ancienne.

Du nouveau pour l’ouverture ?
Oui. Nous sommes en pleins travaux de rénovation. Avec l’aide d’un architecte d’intérieur, nous refaisons entièrement la salle à manger (le sol, les ouvertures, les éclairages, l’ambiance) pour donner plus d’aisance aux tables et apporter une note plus chaleureuse et cosy pour l’ouverture le 6 mars. Ca tombe bien !