Art & Culture Monaco

Yasmina Khadra L’écrivain nomade à Monaco

Dans son dernier ouvrage Les vertueux, l’écrivain poète Yasmina Khadra raconte l’histoire de Yacine Chéraga, un homme au destin tragique. Dans le cadre des Rendez-vous culturels de l’Hôtel Métropole, l’auteur est revenu sur cette intrigue qui se déroule dans l’Algérie de l’entre-deux guerres.

- Comment est né le personnage de Yacine ?
Très naturellement. Il incarne un peu tous les jeunes de son époque, cette jeunesse qui ne vivait pas dans les villes. Des jeunes oubliés, marginalisés qui vivotaient dans des régions sinistrées, marquées par la misère. Ils étaient gardiens de troupeaux, laboureurs… Ce personnage m’a semblé à même de porter l’histoire que j’allais proposer aux lecteurs.

- Pourquoi avoir choisi cette période de l’entre-deux guerres ?
Cette époque est très importante dans l’histoire de l’Algérie. Nous sommes dans la première moitié du XXe siècle et c’est à partir de la première guerre mondiale que l’esprit du nationalisme et de l’indépendance à commencé à germer. Avant les Algériens étaient vaincus, ils avaient accepté leur sort. La France était toute puissante. Mais à partir de cette guerre, certains esprits se sont éveillés à la nécessité de prendre les armes. Les Algériens sont des gens en colère. Une colère qui n’a jamais été apaisée, malgré les 8 ans de guerre pour l’indépendance. Nous avons été trahis par les différents gouvernements. Nous avons traversé toutes les épreuves : les pendaisons, le bagne, les massacres… Ce n’était pas dans nos traditions de pendre les gens devant les autres. A cette période, on pendait des brigands, des révoltés… Cela nous a traumatisé.

- La notion d’amour est très présente dans vos écrits…
L’amour est essentiel. On me dit que je suis féministe. Je dirai plutôt que je suis pour la femme, pour qu’on la respecte et qu’on lui accorde ses droits les plus légitimes et la place qu’elle mérite dans la société. Et dieu seul sait comme cette place est immense. Pour moi, la femme c’est le socle de toute chose, c’est l’essence de toute chose. Mais je suis un peu sidéré par l’ampleur que sont en train de prendre tous les militantismes, qu’ils soient syndicalistes, nationalistes, idéologiques ou féministes. Aujourd’hui, on ne sait plus comment parler à une femme, ou lui dire des gentillesses. Il faut savoir faire la part des choses. La susceptibilité tue la lucidité. C’est comme si nous étions en train de perdre tous nos repères. La colère prime parfois sur la sagesse.

- Est-il difficile de confronter ses écrits au regard des autres ?
Le livre n’est pas un journal intime. Si nous l’avons écrit, c’est pour le faire vivre ailleurs, le faire traverser d’autres esprits. Les rencontres avec mes lecteurs sont des moments de grâce. Ce sont mes lecteurs qui me font. L’écrivain fait des livres et ce sont les lecteurs qui font l’écrivain. Sans lecteurs, nous ne sommes que lettres mortes. Je suis vivant grâce à eux. Dans les moments difficiles, ils m’ont soutenu. C’est la plus belle famille, car il n’y a qu’amour. On peut trouver son pire ennemi dans sa propre fratrie. Ces rencontres sont toujours de grands moments de joie.