Art & Culture Alpes Maritimes

Roschdy Zem dans Vivants "Ce métier, paradoxalement, m’a rendu humble..."

Les deux pieds dans la société actuelle et animé par une volonté féroce de la représenter sans compromis, Roschdy Zem (rencontré à l’occasion de son passage au Théâtre National de Nice avec la pièce Una giornata particolare) ne choisit aucun rôle par hasard. Preuve en est avec un des films dans lesquels on le retrouvera dans les mois à venir, Vivants d’Alix Delaporte, où il campera le rédac’ chef d’une équipe de reporters spécialisés dans le journalisme de terrain. Brossant un portrait de ce métier qui s’est peu à peu perdu, ce long-métrage (à découvrir au cinéma dès le 14 février prochain) dresse un état des lieux peu reluisant, voire inquiétant, de nos nouveaux supports d’information...

- On vous a retrouvé au théâtre le mois dernier avec la pièce Une journée particulière… Rencontrer tous ces publics doit être assez excitant…
Roschdy Zem : Oui et peut-être encore plus pour quelqu’un qui, comme moi, vient plutôt du cinéma. J’adore tourner évidemment mais la caméra n’offre pas cette possibilité-là d’aller à la rencontre du public, en chair et en os. Parfois, on a la joie de faire des tournées d’avant-premières mais ce n’est pas comme se présenter chaque soir sur scène avec un spectacle dont le message est si fort qu’il fait encore écho aujourd’hui… Alors oui aller de ville en ville - comme ça a été le cas à Nice, Toulon et Aix notamment -, ça a une saveur particulière parce qu’on sait qu’on va être confronté à un public qui ne sera pas indifférent au message colporté par le texte d’Ettore Scola.

- Le plus effrayant dans tout ça, c’est que ces messages nous parlent encore. Ça signifie que le temps a passé mais qu’il y a encore des combats à mener… On voit dans votre carrière que chaque projet est le fruit d’un choix mûrement réfléchi, ça a sûrement été également le cas pour Une journée particulière…
C’est vrai que je n’ai jamais choisi à la légère les films ou les pièces que j’allais jouer. Pour Une journée particulière, j’ai bien sûr été séduit par la puissance des propos mais j’ai également été très étonné qu’on me propose ce rôle. Quand on parle d’interpréter un artiste homosexuel qui va bientôt être déporté dans les années 30, je ne suis pas sûr qu’en règle générale ce soit mon nom qui arrive tout de suite à l’esprit. Donc j’ai été agréablement surpris et intrigué par cette idée qu’ont eue les productrices Valérie Six et Claire Béjanin de m’imaginer sous les traits de Gabriele mais aussi que ce soit validé par Lilo Baur, la metteure en scène.
En toute honnêteté, ça m’a flatté parce que c'est exactement la direction vers laquelle j'ai de plus en plus envie d'aller en campant des personnages beaucoup plus vulnérables. Ça me parle et ça m’intéresse parce qu’on a souvent pensé à moi pour des rôles plus solides, plus durs ou plus rassurants.
Jouer cet homme dont le temps est compté et qui va faire une rencontre qui va aussi bien troubler sa vie à lui que celle de cette femme, ça me bouleverse ! C’est exactement l’état d’esprit dans lequel je suis, à savoir qu’on peut tout régler, arranger ou en tout cas assainir par l’échange. Ces deux personnes que tout oppose vont justement apprendre à s’aimer et à se respecter grâce au dialogue.
C’est intéressant de constater qu’à chaque fois qu’un fait comme celui-ci se produit - je n’irais malheureusement pas jusqu’à dire qu’on peut faire changer d’avis quelqu’un qui a des idées radicales avec un simple dialogue -, personne n’en ressort indifférent. Et c’est ce que raconte cette pièce. Dès qu’on s’entretient, qu’on communique et qu’on échange, il y a cette part d’humanité en nous qui renaît et qui donne de l’espoir.

- Le théâtre c’est de l’artisanat, c’est remettre son titre en jeu, c’est essayer de se surpasser chaque soir, c’est avoir le sens du détail…
C’est un peu aussi la seule façon que j’ai trouvée d’entretenir la flamme. J’ai une chance incroyable d’être sollicité mais on peut très vite - si on n’est pas vigilant, si on n’est pas alerte ou si on est mal entouré -, s’installer dans sa zone de confort et éviter d’explorer ce qui pourrait exiger un peu plus de rigueur.
Or, j’ai le sentiment que pour ne pas tomber dans ces travers, il m’est essentiel d’aller vers ce genre de rôle, de quête et de réflexion qui forcent à l’introspection. Ça permet de découvrir des choses chez vous en tant qu’homme - je ne parle même plus en tant qu’acteur - que vous ignoriez et ça, c’est fascinant. J’ai ce plaisir d’explorer tout ça à titre personnel et de pouvoir le restituer à travers un texte et un personnage. Je crois que c’est comme ça que je trouve ma vérité…

- Parmi tous les films à venir où l’on vous retrouvera, Vivants d’Alix Delaporte sortira au cinéma le 14 février. Vous y êtes le rédac chef d’une équipe de journalistes de terrain en proie aux restrictions budgétaires, aux changements de mentalités et à l’info racoleuse... Plus que jouer, vous semblez incarner pour défendre, dénoncer, représenter…
Jouer c’est aussi laisser une trace… On est rentré dans une ère où, avec les médias surtout, on sent qu’il y a un changement de paradigme. On a maintenant tellement de supports à travers différentes plateformes qui proposent du rêve, du bien-être et de l’aventure que raconter la réalité - comme le proposaient les agences de presse telles que celle que l’on retrouve dans le film - ça n’intéresse plus personne.
L’actualité dans sa forme originelle n’est plus quelque chose de vendeur, sauf si on la propose dans un format un peu original ou racontée en trois minutes… C’est du consommable et c’est entre autres ce que raconte ce film. Il met en scène la fin d’une époque où l’on donnait des caméras à des aventuriers comme pouvait l’être Patrick Chauvel et ils allaient en Irak ou en Palestine où ça pétait de tous les côtés.
Ça, ça n'existe quasiment plus. D'ailleurs, on le voit aujourd'hui dans le conflit israélo-palestinien où les caméras sont totalement interdites et où pas un journaliste n’a d’accès sur le terrain à Gaza. C’est la fin d'une information. Aujourd'hui, et c'est intéressant parce que ça nous renvoie à la pièce, elle est transmise, rédigée et expliquée par la force en présence. Ce n’est généralement plus un journaliste qui part avec un regard objectif et factuel sur la situation. Ça, c’est quelque chose qui se perd.

- On est là pour matrixer une population donc on décide des images et de l’information qu’on lui donne afin de la faire adhérer à une idéologie, un parti etc.
Le film raconte ça, raconte que seuls aujourd’hui des reportages sur des choses beaucoup plus légères et vendeuses attirent ou alors il faut du sensationnel… Et puis on est rentré aussi dans l’ère de l’info en continu qui a pour principal travers d’être en continu ! Que raconter 24/24 et 7/7 quand il n’y a plus rien à dire ? (rires) On suppute, on analyse et on étire des faits divers qui deviennent l’info “star” avant de retomber dans l’oubli au bout de quelques jours, comme si ça n’avait jamais existé…


Roschdy Zem dans "Vivants" • 14 février 2024 / au cinéma • interview intégrale sur le-mensuel.com